Nervosite dans la civilisation!
Il ne se passe pas un jour sans que soit evoqué dans les médias, les discours politiques, à l’occasion de tel ou tel texte de loi, la nécessité de changer, de bouger, de ne plus se contenter de l’existant, qui ne marche plus, qui a fait son temps, qui doit être amélioré ou alors abandonné, mais surtout pas gardé en l'état.
Il y a nous dit on nécessité de se réformer, de réformer notre pays, nos institutions, nos lois, notre vivre ensemble, sans quoi nous continuerons à décliner irrémédiablement, définitivement.
Pour nous convaincre on oppose, immobilisme à mouvement, réformisme à conservatisme, flexibilité à sécurité, avantages acquis à prise de risque, public à privé, individuel à collectif, loi à contrat, assisté à actif, performance à résultat…etc
Le moment est à l’adaptation au réel. Terminé les utopies, les idéologies, les rêves, les lendemains qui chantent, les grands soirs.…
La prise de risque est recommandée. Il faut anticiper, prévoir, se gouverner, savoir perdre pour gagner plus.
Il faut bouger, devenir mobile, être souple, fluide, fonctionner en réseau, être connecté, réactif! Il faut se dépasser, nous n'avons plus le choix! Il n'y a plus de temps à perdre!
Mais comment sortir de soi, se débarrasser de ce qui nous contraint, nous limite, entrave notre développement , enferme notre créativité, et prive ainsi nos contemporains de nos estimables qualités, que seul un petit cercle d’intimes connait?
Qui mieux qu’un auteur comme Alain Ehrenberg me semble t-il peut nous éclairer, sur ce moment de notre histoire, de notre destin collectif, démuni, frileux, sceptique que nous sommes face à cette injonction d’autonomie, de dépassement de soi, de mouvement perpétuel, de changement nécessaire, de remise en question de nos modes de vie.
Qu’en est il de cet individu contemporain sommé de changer et de s’adapter à son époque c’est à dire selon Ehrenberg de passer d’une société organisée par la discipline à une société fonctionnant à l’autonomie et donc à une hyper-responsabilisation de chacun?
Dans quel état se trouve t-il face à cette autonomie contrainte et à cette injonction de sortir de lui même et de sa routine?
Dans sa trilogie, le culte de la performance(1991), L’individu incertain(1995), la fatigue d’être soi (1998), Ehrenberg dresse une vaste fresque de l’individualisme contemporain, des changements de normes qui ont affecté notre civilisation depuis les trente glorieuses.
Le thème central de cette recherche est l’extrême fragilisation des individus qui doivent se produire eux mêmes dans un monde de plus en plus morcelé.
Ehrenberg montre comment la valorisation des valeurs de la concurrence économique et de la compétition sportive dans la société Française, a propulsé un individu-trajectoire à la conquête de son identité personnelle et de sa réussite sociale, sommé de se dépasser dans une aventure entrepreneuriale.
La figure du chef d’entreprise, du manager est devenu un modèle de conduite et de réussite. Le sportif de haut niveau devient le symbole de la réussite individuelle liée au travail et non pas à l’origine sociale.
Le second volet de cette enquête décrit le prix à payer pour cette accession à l’autonomie et à cette exigence accrue de responsabilité qui est la montée en puissance des conduites addictives et des problématiques psychiques liées à l’insuffisance.
Dans le dernier chapitre »la fatigue d’être soi », Ehrenberg souligne le recours à la dépression, comme réponse à l’impuissance ou à l’insuffisance.
Il nous dit : » La dépression renvoie de moins en moins à la culpabilité et de plus en plus à l’inhibition. Ce n’est plus le refoulement de désirs interdits qui en est l’origine, mais le poids du possible. »
Le monde selon Ehrenberg a changé de règles. Elles ne sont plus obéissance, discipline, conformité à la morale, mais flexibilité, changement, rapidité de réaction, etc.
Maîtrise de soi, souplesse psychique et affective, capacités d’action sont autant de qualités requises pour s’adapter en permanence à un monde qui change, un monde instable, provisoire, incertain.
La fatigue depressive a remplacé l’angoisse névrotique. nous sommes passés du « permis" au « possible
Du culte de la performance à l'effondrement psychique, nos sociétés ont fini selon Ehrenberg par donner forme à une culture du malheur intime parfaitement inédite.La performance, l'épanouissement individuel et la vulnérabilité de masse forment un tout qu’il nomme: " la nervosité dans la civilisation ».
Dans une conférence intitulée « nervosité dans la civilisation, du culte de la performance à l’effondrement psychique », Alain Ehrenberg revient précisément sur toutes ces questions. Voici le lien pour accéder à la vidéo:
https://www.canal-u.tv/video/universite_de_tous_les_savoirs/nervosite_da...
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